
L’équipe de réflexion éthique diocésaine constituée à l’occasion du projet de loi sur la fin de vie a élaboré une réflexion très précieuse pour aider toute personne qui le souhaite à entrer dans l’intelligence de la foi chrétienne devant les défis qui s’ouvrent à nous : tant pour la société dans son ensemble que pour le positionnement des chrétiens devant la loi.
La dissolution de l’Assemblée Nationale, le 9 juin 2024, a provoqué l’interruption du débat autour d’un projet de loi sur la fin de vie. Sa reprise et la perspective d’un vote nous invitent à faire part aujourd’hui largement des réflexions portées. Nous les soutenons sans réserve et les proposons à la réflexion de toute personne de bonne volonté, en particulier de ceux qui ont la responsabilité
de légiférer.
Évêque de Rodez et Vabres
I. L’infinie richesse de chaque personne humaine.
Pour accompagner la dignité intrinsèque de toute personne en fin de vie, il nous semble incontournable d’affirmer d’emblée que chaque personne, quelles que soient ses fragilités ou sa dégradation physique ou psychique, est avant tout un frère ou une sœur en humanité dont nous devons respecter l’histoire, la sensibilité, les relations... en bref, tous les reliefs de la personnalité humaine.
Être proche d’une personne en souffrance – ou en fin de vie – sollicite notre discernement en vue du bien de tous : le bien de cette personne en situation de fragilité, le bien de ses proches, le bien de la société humaine, pensée comme la somme d’autant de sujets humains, forts et fragiles à la fois.
Le discernement est une notion essentielle dans les situations extrêmes dont il est fait ici question. Il est parfois important d’interroger les évidences, de voir ce qu’une décision ou l’autre produit comme effet, ce qui nous impacte. Il faut alors savoir descendre en soi pour évaluer ce qui se passe au plus profond, jauger les pensées qui nous traversent. Il y a des courants de pensée qui vont amener un état de bien-être, d’autres davantage de trouble ou de confusion, des courants qui portent à allumer la vie, d’autres à éteindre la vie. Il convient surtout de ne pas trop vite juger des situations ou des personnes (présomption) et ne pas trop vite se juger (culpabilisation).
En affirmant l’unicité et la richesse de chaque personne humaine, la sagesse chrétienne pointe son caractère singulier : cette personne est là aujourd’hui, d’une façon qui lui est propre et particulière. Dans son présent, elle exprime une facette de notre humanité, qu’aucun autre ne pourra répéter après elle. Il est ainsi absolument vain de nous assimiler les uns aux autres, autant que de nous comparer. En réalité, la seule voie est de respecter profondément nos différences, en évitant de poser des critères pour évaluer ceux qui seraient plus ou moins utiles, plus ou moins intéressants, plus ou moins importants, ce qui reviendrait à nous juger les uns les autres.
Nous laisserions un grave désordre s’installer dans notre société à introduire dans nos représentations cette idée que certaines personnes seraient un « poids », un « légume » ou que leur vie serait « inutile », ou encore à porter sur elles un regard un tel qu’on les inviterait à le penser. Ces mots, utilisés ici à dessein, sont empreints d’une certaine violence, que nous souhaitons mettre au grand jour. Ils révèlent, selon nous, une mise à l’écart des personnes en situation de grande fragilité. Nous souhaitons au contraire éviter toute forme de déterminisme collectif, qui conduirait à
regarder les personnes comme des choses inutiles, voire à faire basculer ce qui est humain dans ce que le Pape François a appelé une « culture du déchet » [1].
II. Trouver son bien à faire le bien...
Dans cette deuxième partie, nous nous proposons de changer de regard et de voir les personnes en donnant du sens et de la valeur à nos relations. Dans l’accompagnement d’une personne en situation de grande fragilité – dépendante ou même inconsciente –, les relations de soins qui se mettent en place avec les personnes aidantes ou les professionnels de santé permettent aux soignants de donner le meilleur d’eux-mêmes et de donner du sens à leur vie, grâce à l’amour donné. Il ne s’agit plus alors d’évaluer le patient ou la personne fragile, mais d’évaluer la qualité du soin.
Dans une structure de santé, on ne crée pas de la richesse, on prend soin de ce qui est notre richesse. Toute vie humaine, marquée par ses atouts et par ses faiblesses, révèle à celui qui prend soin d’elle une insondable réserve de ressources d’affection, d’intelligence, de gratitude. Même dans les signaux faibles — une main qu’on tient au bord du lit, un sourire, le réajustement d’un oreiller —, se manifestent les grands principes de l’humanité dans ce qu’elle a de plus digne et de plus noble : prendre soin du plus fragile pour être sûr de n’oublier personne ; reconnaître dans les gestes les plus simples les choses les plus éminentes ; découvrir enfin ce qui est universel en l’homme dans la proximité et le concret du quotidien.
Quand on prend soin d’une personne fragile, la place qu’elle tient nous redit que notre engagement et nos combats humains ne relèvent pas seulement de ce qui est efficace, mais de ce qui est fécond. Dans toute vie, il y a ce qui se mesure et ce qui ne se mesure pas. A ne considérer que ce qui se mesure, on risque de passer à côté de l’essentiel et des plus hautes qualités de l’homme : l’amour, le courage, la vertu, le charisme. Ceux qui accompagnent les personnes en fin de vie sont témoins d’une réalité toute autre. En regardant la fin de vie du côté du spirituel, de l’émotionnel et de
l’affectif, ils peuvent constater que les évolutions ne se lisent pas uniquement en termes de perte. La Présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, le Dr Claire Fourcade, souligne très fortement cela : « Quand la maladie prive nos patients de leur apparence d’homme ou de leur conscience d’homme, c’est nous, soignants, qui sommes là pour leur signifier, jour après jour, qu’ils restent pleinement, entièrement, membres de notre famille humaine. Par le toucher, le temps passé, l’attention accordée jusque dans les détails les plus insignifiants, l’intérêt porté à leur histoire et aux liens qui les attachent à leurs proches. » [2]
En fin de vie, vient parfois l’expression par le patient d’un désir d’en finir. A ce propos, les Dr Favre et Gomas affirment : « Imaginer mourir, le vouloir parfois dans des circonstances de vie douloureuses ou désespérées, est sans doute une expérience assez commune. Pour autant, tout désir ne signifie pas demande. Bien heureusement, dans l’immense majorité des cas, l’idée est fugace ; le “projet de mort”, de courte durée, s’évanouit dans la survenue d’un événement salvateur et ne sera suivi d’aucun passage à l’acte. » [3]
Dans ces moments, le temps de l’écoute devient essentiel : essayer de percevoir ce qui se joue à travers ce désir, laisser la personne s’exprimer davantage pour discerner sa préoccupation. Bien souvent, les mots du patient sont avant tout l’expression d’une détresse et d’un besoin d’accompagnement.
Si le principe du suicide assisté et l’euthanasie étaient adopté, un des risques majeurs des nouvelles dispositions discutées au parlement seraient de ne pas suffisamment honorer le temps d’écoute et d’accompagnement de la personne en fin de vie. Un autre risque, tout aussi majeur, serait de contraindre des soignants à participer, d’une façon ou d’une autre, à poser un geste qui a pour but premier non de soigner mais de donner la mort.
III. Préparer son itinéraire : dispositions pour une fin de vie chrétienne.
La loi française imaginée autour de la fin de vie se veut d’abord comme une liberté offerte aux citoyens qui le souhaiteraient d’abréger leur souffrance et de décider du jour de leur mort. Il est évident que ce projet est incompatible avec la vision chrétienne de l’homme, pour laquelle la vie est un don de Dieu, qui reste seul maître du compte de nos jours. L’homme, pour un chrétien, ne décide pas du jour de sa naissance, il ne décide pas davantage de paraître devant son Créateur : cela ne lui appartient pas.
Si la loi sur la fin de vie venait à être adoptée, il revient aux croyants, en usant de la liberté dont la loi française se fait garante, de préciser leur volonté en la matière.
Dans cette perspective, tout citoyen dispose de deux outils que notre équipe de réflexion éthique diocésaine a déjà présentés lors de trois soirées au printemps 2023. Ces deux outils méritent d’être davantage diffusés : il s’agit du formulaire des directives anticipées et de la désignation d’une personne de confiance.
Les directives anticipées, rédigées par le patient servent de référence lorsque ce dernier n’est plus en capacité de s’exprimer. Si la volonté est expressément indiquée de ne pas recourir au suicide assisté ni à l’euthanasie, la personne sera ainsi protégée par le droit français. Il est donc extrêmement important de prendre le temps de découvrir ces formulaires et de les remplir, au même titre que les dernières volontés ou le testament.
La personne de confiance est un proche à qui nous confions la responsabilité de connaître nos directives anticipées et de les faire appliquer. Cette personne de confiance peut être un parent, un ami ou même notre médecin : il suffit de l’avoir désignée au moment de la rédaction de nos directives anticipées. Comme pour le formulaire des directives anticipées, c’est la personne de confiance qui sera consultée par les soignants pour toute décision concernant notre fin de vie. Elle protégera les
dispositions que nous aurons prises préalablement.
Les personnes intéressées peuvent se rapprocher du service diocésain de la Pastorale de la Santé pour de plus amples informations à ce sujet. Nous souhaitons que chaque personne en fin de vie soit respectée et accompagnée. La foi chrétienne défend une conception de ce qui est humain au regard de l’amour que Dieu a placé en chacun de ses enfants : en vertu de ce principe, tout homme est infiniment précieux.
L’espérance en la vie éternelle et la dignité intrinsèque de toute personne humaine sont la déclinaison humble et résolue, bienveillante et solide, de notre confiance en Jésus. Au-delà même du cercle des croyants, le message évangélique demeure une référence inaliénable pour les hommes et les femmes de notre monde, quelles que soient leur culture, leur tradition ou leur histoire.